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Pour passer du concept de l’hypertexte à la concrétisation, il a fallu inventer des machines. Pour faire l’Internet d’aujourd’hui il a fallu des réseaux, des protocoles, des langages, pour que ces machines communiquent et nous permettent de communiquer via ses différents médias.

Si vous avez raté le premier article de cette trilogie consacrée à l’hypertexte, veuillez suivre ce lien hypertexte.

Il a fallu du génie pour créer ces machines et leurs périphériques, développer ces logiciels. Mais qui furent ces inventeurs véritablement?

Les premiers auteurs de science-fiction n’ont pas seulement imaginé des soucoupes volantes d’où débarquaient des monstres gluants dotés de tentacules vertes.

Un certain Murray Leinster décrit, en 1946, dans la nouvelle « A Logic Named Joe », l’ordinateur que nous connaissons. Il nous projette dans un monde où chaque foyer de la planète possède son « Logic », un ordinateur individuel connecté à des « tanks » (serveurs), permettant de jouer, se cultiver, travailler, communiquer et même faire ses achats auprès de boutiques en ligne.

a logic named joe

Est-ce la lecture de ce livre qui inspira cette vision à un ex-spécialiste des radars de l’US Navy en 1963 ?

Bientôt les hommes disposeront de postes de travail informatisés individuels, qui seront branchés en réseaux et qui utiliseront le traitement de texte pour mettre notre créativité en oeuvre, avec des dictionnaires en ligne, adaptés au processus d’écriture.

The Virtual Community Chapter Three : Visionaries and Convergences
douglas carl engelbart

My name is Q

Douglas Carl Engelbart… Sans aucun doute, l’un des génies du siècle dernier. Il a tout inventé et on lui a tout emprunté. Chercheur humaniste, il ne s’est préoccupé que de l’amélioration du bien commun par le progrès technologique.

Révélation à Santa Clara

L’aventure commence dans les années cinquante : alors qu’il se rendait à son travail ce jeune ingénieur en électronique, eut cette pensée :

Le monde devient tellement complexe. Il faut trouver un système qui puisse maximiser notre capacité à gérer des problèmes complexes et urgents. Sinon, nous allons à la catastrophe.

Augmenting human intellect: a conceptual framework – 1962

Il se dit que si l’on pouvait utiliser la puissance des ordinateurs —à une époque où il n’y en avait, peut-être, qu’une vingtaine dans le monde entier— pour accomplir la partie mécanique de la pensée et partager les idées, les êtres humains seraient capables d’accroître ensemble leurs capacités de réflexions et de pouvoir résoudre ainsi des problèmes compliqués.

Il passe un doctorat en informatique, s’installe en 1963 à Berkeley et se fait engager par le Stanford Research Institute (SRI) pour réaliser sa vision : mettre en réseau des ordinateurs, offrir aux utilisateurs des interfaces Homme-machine faciles à utiliser et adaptées à leur contexte d’utilisation.
Ses idées, sans doute trop en avance, rencontrent peu d’intérêt jusqu’à ce jour de décembre 1968, où il soulèvera l’enthousiasme de la communauté scientifique.

La mère de toutes les démos

C’est en effet lors de cette conférence que Douglas Engelbart dévoile l’ordinateur de demain —où celui d’aujourd’hui, c’est selon…— : un système multimédia doté d’un clavier, d’un pavé numérique, d’une souris et d’une interface graphique à fenêtres.

mother of all demos

La souris, qu’il a conçue au milieu des années 60, n’est en effet présentée officiellement qu’à cette conférence. C’est un boîtier en bois contenant deux disques perpendiculaires et relié à l’ordinateur par une paire de fils torsadés. Il la déplace par un système de courroies, tout le mécanisme étant placé à l’intérieur.↓

Devant une salle comble, pendant 90 minutes, Engelbart utilise cette souris pour manipuler du texte et des images sur un écran géant. Il réorganise une liste de courses pour l’épicerie, communique avec ses collègues du SRI au Menlo Park, situé à 50 kilomètres, et affiche leurs photos sur l’écran.

2 000 personnes lui font alors une « standing ovation » : ils viennent de réaliser ce que les ordinateurs pouvaient faire.

Chapeau bas, Monsieur Engelbart.

Du « Park » au PARC

Malgré ce succès, Engelbart et son équipe de chercheurs durent quitter le SRI au Menlo Park, faute de subventions. Xerox qui avait créé en 73 son centre de recherches, le célèbre Palo Alto Research Center (PARC), fut ravit d’accueillir les plus talentueux d’entre eux. Engelbart s’en alla fonder de son côté, le « Bootstrap Institute ».

Apple rebat les cartes

Dans le PARC, des informaticiens inventaient toute sorte de choses sans se soucier de savoir si cela fonctionnerait ou non. De son côté, Xerox se fichait tout autant qu’ils sortent des produits commercialisables ne comprenant rien à ce que fabriquaient ces illuminés. Le chercheur ayant trouvé, s’en allait alors, son invention sous le bras, vendre celle-ci ou constituer sa compagnie. C’est ainsi que Geschke et Warnock s’associèrent pour créer Adobe, leur PostScript dans les cartons.

steve jobs premier macintosh

La (sombre) histoire d’Apple nous enseigne aussi que Steve Jobs a, sans aucun scrupule, détourner au profit d’Apple, tout ce qu’il a pu voir au PARC, pour donner naissance au Macintosh.

Mais revenons à notre hypertexte.

Nous sommes cette fois en 1985 au siège d’Apple Inc, à Cupertino (Californie). Bill Atkinson, l’un de ces « Apple Fellows » de la première heure, conçoit Hypercard, sans doute la première application commercialisée utilisant l’hypertexte.
Hypercard offre un environnement dans lequel la barrière entre programmation et hypertexte disparaît. Associée au langage Hypertalk, elle permet de réaliser des documents non-linéaires, des « piles », constitués de différentes « cartes» modulaires. La navigation dans la « pile » s’effectue par un clic sur le « bouton » d’une « carte ».

La beauté d’Hypercard réside dans son accessibilité : sans connaissance de la programmation, tout utilisateur pouvait créer sa « pile ». De mémoire, il suffisait de cliquer sur une carte pour lancer un éditeur de script dont la syntaxe était d’une simplicité enfantine. Un chef d’œuvre.

Ce fut le déclic pour John Sculley, le PDG d’Apple dont j’ai parlé dans le premier article. C’est en effet à ce moment qu’il enfila sa tenue de Commandant du navire Apple et nous livra sa vision du futur avec le Knowledge Navigator.

Mais le grand saut dans le cyber-espace c’est grâce et avec un autre personnage que nous allons le connaître.

Faudrait pas confondre Tim Berners-Lee et Spiderman

Nous sommes en 1990, à Genève maintenant. Au CERN très précisément.
Un certain Tim Berners-Lee travaille sur un projet séparé au sein de la société savante. L’objectif est de référencer des documents mis en réseau et de permettre la mise en relation de ceux-ci par un lien hypertexte. Ces « hyperdocuments » allaient enfin quitter l’ordinateur local pour, bientôt↓, se répandre sur les serveurs de l’immense réseau du WWW.

Tim Berners-Lee

Comment tout cela fut-il possible ?

I just had to take the hypertext idea and connect it to the TCP and DNS ideas and — ta-da! — the World Wide Web

https://www.w3.org/People/Berners-Lee/Kids.html

l suffisait donc d’y penser. L’hypertexte, des DNS (système de noms de domaine) qui pointent sur le réseau TCP vers une adresse IP et le tour était joué.

Mais il faut encore un format de document commun que les machines puissent interpréter. Ce format sera HTML qui trouve ses racines dans SGML (nous y reviendrons dans le prochain article). Tim Berners-Lee développe donc, sur une machine NeXT, un éditeur pour créer les pages.
Ce format intègre donc le concept de l’hypertexte auquel Tim Berners-Lee ajoute un prolongement de taille : l’URL (Uniform Ressource Locator) qui peut, à son tour, devenir un lien permettant d’atteindre, aussi bien, un noeud situé en bas de la page, qu’un autre situé aux USA ou en Chine.

Et le Web fut! (Visitez la première page Web de l’Histoire…)

Ah ! J’allais, avant de conclure, oublier de dire pourquoi Tim Berners-Lee n’est pas Spiderman.

L’image communément utilisée pour représenter le Web c’est la toile d’araignée. Les spécialistes appellent d’ailleurs les robots des moteurs de recherche, des spiders.

Mais quand on demande à Tim Berners-Lee pourquoi il a décidé d’appeler le Web ainsi, il ne parle pas de toile d’araignée, il parle d’une forme mathématique particulière, un graphe, un réseau.

Le point de départ et la destination d’un lien sont donc considérés comme des nœuds d’un graphe à trois dimensions. Ce graphe représente un sous-ensemble de documents hypertextes.

Peu importe. Le « Web », c’est maintenant la Toile et c’est Tim Berners-Lee, pas Spiderman, qui l’a conçu.

Fin de l’épisode : dans le prochain volet il sera question de l’Écrit et des langages à balises. Vous pouvez maintenant vous lever et reprendre une activité normale.